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Anéantissement

L'horreur mécanique d'une extermination aveugle. L'enfer sur terre a un nom: Auschwitz Birkenau. 

 

On peut encore sentir leur présence.

 

Imaginer leur souffrance et mesurer le poids continu de la douleur, de la mort, de sa vie et de son œuvre intolérable. Deviner dans ces vestiges immobiles les visages de ces femmes, hommes, enfants et vieillards engloutis dans des flots de haine.

 

L’enfer à ciel ouvert sur terre existe et il a un nom: Auschwitz Birkenau. 

 

Il se trouve en Pologne, à 70 kilomètres à l’ouest de Cracovie. Son entrée béante vomit le cynisme des monstres : "Arbeit macht frei", "le travail rend libre" hurle l’inscription de ce portail qui ouvre sur l’horreur mécanique et froide d'une extermination industrielle. Les nuages sombres et lourds ne peuvent remplir cet espace noir et vide qui écrase vos épaules. Cette monstrueuse inscription en est venue à désigner par métonymie l'ensemble du génocide des juifs, de la Catastrophe, de l’indicible souffrance. Chaque pas est maintenant un apprentissage, chaque barbelé une cicatrice, chaque groupe de visiteurs un long cortège de deuil. 

 

Qui s'arrêtent parfois pour désigner de leur doigt long et fin les bâtiments d'infamie.

 

Qui posent devant des miradors sinistres portant en eux les traces de notre anéantissement.

 

Qui, lorsque l'ombre s'efface, murmurent devant les stigmates du passé et de son enfer.

 

A chaque pas, au début.

 

Prouvant leur compassion et leur humanité.

 

Puis s'endurcissent et s'oublient au fil des distances englouties. Esquissent parfois un sourire. Pour la photo.

Ne ressentant plus rien, alors que les souvenirs s'imposent. Ne prouvant rien si ce n'est que les souvenirs ont du mal à mourir et que mourir d'oubli fait si mal.

 

Elle est ici cette fine ligne blanche qui sépare le passé et le présent. Ce futur incertain. Derrière ces arbres robustes. Il se cache. Soleil. Nuages. Et puis l’ombre revient. Qui s’empare de ces sinistres bâtiments. Gris. Austères. Aux lignes tendues. Vertiges. Un million de cœurs sont venus se désagréger ici. Un million de silences, de souffrances, de mains tendues vers nos chimères. Et les fours crématoires. Un million de sanglots réduits au silence, un million d’espérances brisées, de rêves anéantis par les chambres à gaz. Nos souffles s’étiolent dans une retenue nécessaire. Il faut accepter l’haleine putride de cette haine inhumaine. La lente agonie d’espoirs éradiqués par la perversion. Le goût amer de l’histoire.

 

Je tente mais je ne sais pas faire. Pourtant j’agis avec mon coeur et la raison pour prendre le pouls de cet implacable force qui s'oppose à moi. Pénombre et vent. Glisse. Les arbres ploient sous les nuages. Vacille. Tiens. Recule.

 

Quelques photographies, encore. Nuages. L'ombre revient. Soleil. Lumière. Les ténèbres refluent vers ce gris indécent. Shoah. Comprendre. Accepter. Pardonner. Comment. Un million de fois. Un million de morts, de cris, de larmes, de promesses oubliées, d’éternels déchirements. Le mal absolu. Un million de dos plaqués contre un mur, de genoux heurtés par une terre hostile, de poings frappant l’insoutenable. Un million de vies inachevées et perdues au bout de ces longs rails de métal glacé, tels des veines larges et noueuses, s'échouant sur des pierres grises de souffrance. Froid. Horreur. Cette tour indécente barre ma vue déclinante. Le soleil se couche sur un horizon indéfini. Gris. Larmes. Boue.

 

Les vivants ne peuvent pas oublier les fantômes qui foulent cette terre gorgée d'eau. Et il y a l'ombre. Et les vivants. Et les morts. Et nos fantômes. Et nos vanités. Et la mémoire. Peut-être souffre-t-elle d'une dangereuse affliction mais celle-ci n'est-elle pas également un signe de sa force et de son courage, de ses qualités et de son caractère ? C'est physique et troublant.

 

Il y aurait tout à dire sur l’immense poids de l’absence et du silence. Vent. Nuages. Sur le désir. Mais il y a ce gouffre, profond, aveugle. Cette terre gorgée d’eau. Cette monstrueuse balafre. Cette mâchoire dure. Le cynisme du passé. Ce poing serré. Ce sang bouillonnant. Ce soleil disparaissant dans l’anéantissement de nos certitudes. Qui efface nos convictions. Vent. Nuages. Et enfin, il y a l’ombre.

 

 

 

                                                                                                                  Florian Launette

 

 

 

 

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