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Rencontrer les sirènes de Floride

A leur arrivée en Amérique, les colons prirent les lamantins pour des sirènes. Aujourd'hui, ce cousin éloigné de l'élephant vient passer ses hivers dans les sources d'eaux chaudes de King's Bay. Placide, curieuse et attachante, cette espèce est en danger. Sa principale menace ? L'Homme.

Une brume légère flotte au-dessus de la rivière. Stacy Dunn ne quitte pas des yeux la surface de l'eau. Elle cherche l'ombre d'une grande nageoire ronde, un museau affleurant l'air, une silhouette grise ondulant juste sous la surface. Elle guide son bateau dans ce labyrinthe de canaux, au bord desquels les habitants ont bâti de grosses maisons. « Il fait froid et la marrée remonte, c'est une bonne journée pour voir les lamantins », annonce-t-elle aux touristes qu'elle emmène aujourd'hui à bord du Manatee in Paradise.

Les premiers frimas du mois de novembre sonnent le retour des lamantins de Floride. Ces paisibles géants quittent alors la mer pour se regrouper dans les 70 sources chaudes de la rivière Crystal. « On en a déjà compté plus de 500 ici, ce qui fait de cet endroit la capitale mondiale du lamantin » explique Ivan Vincente, agent du Fish and Wildlife Service, le département en charge de la gestion de la réserve. « Si ce site est unique, c'est aussi parce que c'est le seul endroit aux Etats-unis où vous êtes autorisés à nager avec des lamantins » poursuit Ivan. La renommée de Crystal River attire chaque année plus de 100 000 visiteurs.

 

   Magie d'une rencontre

Stacy Dunn a amarré son bateau à la rive et rappelle les dernières consignes aux touristes, avant la mise à l'eau. « N'oubliez pas que les lamantins ne sont pas de gros nounours à câliner, mais des animaux sauvages, et vous allez entrer chez eux. Respectez-les ». Les premières brasses dans la source nommée Three Sisters sont agréables, l'eau est chaude, peu profonde et cristalline. Quelques lamantins dorment au fond, posés sur le sable. « Pour passer un moment privilégié avec eux, il faut penser et agir comme eux : rester très calme, ne pas chercher leur contact. Nous prônons l'observation passive » explique la guide.

Une mère arrive avec son petit. Il est curieux et s'approche des plongeurs. Il enlace le bras de Stacy, tente de brouter sa combinaison et se roule sur le dos pour offrir son ventre aux caresses. Des sourires se dessinent derrière les masques et les tubas. La rencontre avec ce géant (3 mètres de long pour 500 kg en moyenne) est douce et surprenante.

   Prendre soin

« C'est une bonne chose que les gens puissent interagir avec ces animaux, mais il ne faut surtout pas oublier que c'est un privilège. Pour eux, passer l'hiver ici est avant tout une question de survie » rappelle Craig, l'un des garde du Fish and Wildlife Service. Il veille à ce que les visiteurs respectent les règles et ne dérangent pas les lamantins. Sa vigilance est à la hauteur de leur fragilité. L'espèce est menacée - on compte environ 2500 individus dans le monde - et l'hiver est une période critique pour eux.

 

« Il n'y a rien à manger dans la rivière », explique Todd, un bénévole chargé de la surveillance. « Ils passent souvent plus d'une semaine sans se nourrir. Si des touristes les dérangent, ils gaspillent leur énergie trop vite. Ça les oblige à retourner en mer pour s'alimenter, or à cette période de l'année, l'eau est froide et le froid leur inflige des blessures mortelles ». Pour limiter le dérangement, les gestionnaires de la réserve ont mis en place des sanctuaires. Ces zones dans lesquelles aucun être humain ne peut entrer sont bien connues des lamantins, qui s'y réfugient dès que les plongeurs se font trop pressants.

 

Si les agressions envers les lamantins n'ont plus cours dans les eaux de Crystal River, l'affluence massive des visiteurs à certaines périodes de l'année est critiquée. « 90% des touristes respectent les règles, mais il y a toujours des gens qui s'en moquent », déplore Mickaël Lusk, le directeur de la réserve. « On ne peut donc pas exclure qu'un jour, nous soyons dans l'obligation d'interdire la nage avec les lamantins ». Pour Stacy Dunn, il est essentiel « que les gens se rendent compte de la fragilité de ces mammifères marins et de la situation. Si l'on veut pouvoir continuer à nager aux côtés de ces incroyables animaux, il faut les respecter. L'équilibre est la clé ».  

 

 

                                                                                                                       Mégane Chêne

 

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