Jusqu'à la fin du monde
Il existe des contrées lointaines percutées par des forces de la nature qui vous obligent à la soumission. Je les ai trouvées au-delà du cercle polaire, en Norvège, sur les îles Lofoten. Ces lieux vous bousculent, et vous poussent à aller encore toujours plus loin, jusqu'à la fin du monde.
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Ces terres ont parfois la forme d’un souvenir d’enfant. Ici un Atlas géographique que l’on garde précieusement à portée de main, là un vieux magazine rempli d’histoires de femmes et d’hommes exceptionnels. Qui vous transmettent le souffle de l’aventure et toujours ce besoin urgent de partir à la rencontre de rêves trop longtemps gardés. Il est aujourd'hui temps de les transmettre.
Mais quelles sont-elles ces images un peu brouillonnes d’un monde mal connu ? Ce fameux cercle polaire, ce soleil de minuit dont on dit qu’il peut vous faire perdre la boule ? Tiens donc, ainsi il existerait un monde sans ténèbres où régnerait en maîtresse absolue la lumière bénie des photographes ? Mais à quel prix ? Celui d’une lutte incessante avec une nature têtue décidée à ne pas se laisser faire ? Et ou sont-elles ces montagnes acérées, ces maisons de bois isolées près des eaux noires du fond d’un fjord ? Ces bateaux de bois armés de filets ? Ce bout du monde ?
Aux Lofoten, sur l’île de Moskenesoya où l’on prend un bateau de pêche pour le hameau de Kjerfjorden. Il est forcément un peu là votre bout du monde. Niché au creux de montagnes hautes que des nuages sombres viennent orner. Pour ces quelques hommes qui s'accrochent à la vie dans ces cabanes de bois, c’est forcément ici que s’arrête le chemin. Protégés qu’ils sont par ce fjord à l’eau si intense, par ces montagnes menaçantes, par ce refus de l’horizontalité. A croire que le dieu Odin a usé de sa ruse, de sa rage, de sa victoire sur les hommes pour finalement les emprisonner dans un univers de démesure. Admirez cette toiture de nuages noirs, c’est Thor lui-même qui l’a conçu, pour s’assurer de conserver nos âmes minuscules. Nul échappatoire vous est offert. Face à tout cela, vous en venez presque à remercier ces dieux de leur mansuétude. Maintenant que le temps s’est arrêté, vous avez presque peur. Non pas du lieu et de cette belle indolence, de son lourd silence ou de la force du vent mais bien de vous et de vos faiblesses. Et si jamais vous n’y arriveriez pas ? Si tout cela était trop grand, trop large, trop plein pour vos yeux et cet appareil si lourd dans vos mains ? Vous voilà presque asphyxié. Votre tête tourne, vous vacillez, c’est normal : encore un effort et bientôt vous serez sur le toit du monde, à ses limites les plus extrêmes. Vous le murmurez mais votre voyage ne s’achèvera pas ici. Votre quête n’est pas finie. Celle la-même qui vous pousse encore et toujours à gravir ces rochers, à humer l’air et toucher du doigt cet absolu intemporel. Alors acceptez que la nature vous tolère encore (un peu) et reprenez votre souffle pour mettre de l’ordre dans vos idées. Maintenant et à jamais, l'oeil fixé dans le viseur de ce Mark IIIds du Diable, le coeur battant, vous photographierez jusqu'à la fin du monde.